On ne badine pas avec l'amour - Acte III - Scène 7

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LE BARON et CAMILLE.

Le Baron

Si cela se fait, je deviendrai fou.

Camille

Employez votre autorité.

Le Baron

Je deviendrai fou, et je refuserai mon consentement, voilà qui est certain.

Camille

Vous devriez lui parler et lui faire entendre raison.

Le Baron

Cela me jettera dans le désespoir pour tout le carnaval, et je ne paraîtrai pas une fois à la Cour. C’est un mariage disproportionné. Jamais on n’a entendu parler d’épouser la sœur de lait de sa cousine ; cela passe toute espèce de bornes.

Camille

Faites-le appeler, et dites-lui nettement que ce mariage vous déplaît. Croyez-moi, c’est une folie, et il ne résistera pas.

Le Baron

Je serai vêtu de noir cet hiver ; tenez-le pour assuré.

Camille

Mais, parlez-lui, au nom du ciel ! C’est un coup de tête qu’il a fait ; peut-être n’est-il déjà plus temps ; s’il en a parlé, il le fera.

Le Baron

Je vais m’enfermer pour m’abandonner à ma douleur. Dites-lui, s’il me demande, que je suis enfermé, et que je m’abandonne à ma douleur de le voir épouser une fille sans nom.

Il sort.

Camille

Ne trouverai-je pas ici un homme de cœur ? En vérité, quand on en cherche, on est effrayé de sa solitude.

Entre Perdican.

Eh bien, cousin, à quand le mariage ?

Perdican

Le plus tôt possible ; j’ai déjà parlé au notaire, au curé, et à tous les paysans.

Camille

Vous comptez donc réellement que vous épouserez Rosette ?

Perdican

Assurément.

Camille

Qu’en dira votre père ?

Perdican

Tout ce qu’il voudra ; il me plaît d’épouser cette fille ; c’est une idée que je vous dois, et je m’y tiens. Faut-il vous répéter les lieux communs les plus rebattus sur sa naissance et sur la mienne ? Elle est jeune et jolie, et elle m’aime ; c’est plus qu’il n’en faut pour être trois fois heureux. Qu’elle ait de l’esprit ou qu’elle n’en ait pas, j’aurais pu trouver pire. On criera, on raillera ; je m’en lave les mains.

Camille

Il n’y a rien là de risible ; vous faites très bien de l’épouser. Mais je suis fâchée pour vous d’une chose : c’est qu’on dira que vous l’avez fait par dépit.

Perdican

Vous êtes fâchée de cela ? Oh ! que non.

Camille

Si, j’en suis vraiment fâchée pour vous. Cela fait du tort à un jeune homme, de ne pouvoir résister à un moment de dépit.

Perdican

Soyez-en donc fâchée ; quant à moi, cela m’est bien égal.

Camille

Mais vous n’y pensez pas ; c’est une fille de rien.

Perdican

Elle sera donc de quelque chose, lorsqu’elle sera ma femme.

Camille

Elle vous ennuiera avant que le notaire ait mis son habit neuf et ses souliers pour venir ici ; le cœur vous lèvera au repas de noces, et le soir de la fête vous lui ferez couper les mains et les pieds, comme dans les contes arabes, parce qu’elle sentira le ragoût.

Perdican

Vous verrez que non. Vous ne me connaissez pas ; quand une femme est douce et sensible, fraîche, bonne et belle, je suis capable de me contenter de cela, oui, en vérité, jusqu’à ne pas me soucier de savoir si elle parle latin.

Camille

Il est à regretter qu’on ait dépensé tant d’argent pour vous l’apprendre ; c’est trois mille écus de perdus.

Perdican

Oui ; on aurait mieux fait de les donner aux pauvres.

Camille

Ce sera vous qui vous en chargerez, du moins pour les pauvres d’esprit.

Perdican

Et ils me donneront en échange le royaume des cieux, car il est à eux.

Camille

Combien de temps durera cette plaisanterie ?

Perdican

Quelle plaisanterie ?

Camille

Votre mariage avec Rosette.

Perdican

Bien peu de temps ; Dieu n’a pas fait de l’homme une œuvre de durée : trente ou quarante ans, tout au plus.

Camille

Je suis curieuse de danser à vos noces !

Perdican

Écoutez-moi, Camille, voilà un ton de persiflage qui est hors de propos.

Camille

Il me plaît trop pour que je le quitte.

Perdican

Je vous quitte donc vous-même, car j’en ai tout à l’heure assez.

Camille

Allez-vous chez votre épousée ?

Perdican

Oui, j’y vais de ce pas.

Camille

Donnez-moi donc le bras ; j’y vais aussi.

Entre Rosette.

Perdican

Te voilà, mon enfant ! Viens, je veux te présenter à mon père.

Rosette, se mettant à genoux.

Monseigneur, je viens vous demander une grâce. Tous les gens du village à qui j’ai parlé ce matin m’ont dit que vous aimiez votre cousine, et que vous ne m’avez fait la cour que pour vous divertir tous deux ; on se moque de moi quand je passe, et je ne pourrai plus trouver de mari dans le pays, après avoir servi de risée à tout le monde. Permettez-moi de vous rendre le collier que vous m’avez donné, et de vivre en paix chez ma mère.

Camille

Tu es une bonne fille, Rosette ; garde ce collier, c’est moi qui te le donne, et mon cousin prendra le mien à la place. Quant à un mari, n’en sois pas embarrassée, je me charge de t’en trouver un.

Perdican

Cela n’est pas difficile, en effet. Allons, Rosette, viens, que je te mène à mon père.

Camille

Pourquoi ? Cela est inutile.

Perdican

Oui, vous avez raison, mon père nous recevrait mal : il faut laisser passer le premier moment de surprise qu’il a éprouvée. Viens avec moi, nous retournerons sur la place. Je trouve plaisant qu’on dise que je ne t’aime pas quand je t’épouse. Pardieu ! nous les ferons bien taire.

Il sort avec Rosette.

Camille

Que se passe-t-il donc en moi ? Il l’emmène d’un air bien tranquille. Cela est singulier : il me semble que la tête me tourne. Est-ce qu’il l’épouserait tout de bon ? Holà ! dame Pluche, dame Pluche ! N’y a-t-il donc personne ici ?

Entre un valet.

Courez après le seigneur Perdican ; dites-lui vite qu’il remonte ici, j’ai à lui parler.

Le valet sort.

Mais qu’est-ce donc que tout cela ? Je n’en puis plus, mes pieds refusent de ne soutenir.

Rentre Perdican.

Perdican

Vous m’avez demandé, Camille ?

Camille

Non, — non.

Perdican

En vérité, vous voilà pâle ; qu’avez-vous à me dire ? Vous m’avez fait rappeler pour me parler ?

Camille

Non, non. — Ô Seigneur Dieu !

Elle sort.

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